Réponse à Grégoire Owona : respectons aussi et d’abord les vivants

Le tout charismatique ministre du travail et de la sécurité sociale vient d’adresser à la presse nationale une importante missive. Celle-ci intervient à une période où le Cameroun tout entier est en train de « pleurer » chacun en sa manière, la disparition de la mère de la mère de la nation. Ce qui a donné naissance à cette lettre fixant les jalons de bienséance vis-à-vis de la dépouille, c’est le comportement de la majorité de la presse nationale. Un comportement que le ministre trouve peu orthodoxe, plutôt protestant et donc pas catholique. Il appelle de ce fait la presse toute entière, qui n’est que le relais d’une masse populaire sans voie et sans voix, à respecter le corps de la mère de la mère de la nation.

Il était nécessaire pour monsieur le ministre de rendre publique ces précisions. Personne ne peut nier que la mère de la mère n’est pas un corps comme les autres. De son vivant elle imposait le respect, il est donc inconcevable que sa mort puisse en être autrement. Ses nombreuses casquettes aussi honorables les unes que les autres, imposent un certain comportement aux vivants tenus de l’accompagner à sa dernière demeure. Plus besoin de dire qu’elle était plus connue sous le titre de mère de la mère de la nation. De ce fait, on ne peut pas demander à la première dame de ne point accorder à sa défunte mère les obsèques les plus mérités. On ne peut pas empêcher au Chef de l’Etat et tout son arsenal de mettre tous les moyens en jeu pour que ce deuil soit à la hauteur d’un deuil national. Le drapeau tricolore sur le cercueil de la dépouille en dit long. On ne peut pas non plus refuser à toute la population de Bangou, de rompre avec leurs activités quotidiennes, afin de rendre un dernier hommage à celle qu’elle considérait comme une mère élue par Dieu avant  d’être une maire élue par les hommes.

Au vu de tout cela, le ministre a donc raison, dans ce sens, d’appeler la presse à plus de retenue afin de ne pas entacher le linceul angéliquement cousu, qui habille le corps sans vie de la mère de la mère. Mais il est aussi nécessaire de se poser la question suivante : pourquoi est-ce que la presse en grande majorité, aussi bien que les citoyens, s’en prennent autant à ce corps ? En creusant un peu plus loin, on peut comprendre. Pour eux, le corps de la mère des mères, est un corps comme les autres. Et de ce fait, il ne mériterait pas autant de protocole de mise en scène. Or la vérité, c’est que le ministre n’a pas voulu cacher, c’est que cette dépouille n’est pas un corps anonyme ! C’est un corps public, un corps-phénomène, un corps-évènement, ainsi il fait appel bon gré mal gré à toutes sortes de commentaires aussi savants qu’ineptes des citoyens.

Pour ceux-ci, il est incompréhensible que tout Yaoundé, donc tout le pays,  se mette à genoux et les mains sur la tête pour accompagner le corps de la défunte. C’est pour avoir passé des heures entières dans les embouteillages, pour avoir pensé à tous les citoyens qui meurent dans l’anonymat total, pour avoir pensé à tous ces malades à qui on refuse d’administrer les soins dans les hôpitaux sans médecins, c’est pour avoir pensé à tous ceux qui sont morts et meurent pour défendre l’intégrité nationale, pour avoir pensé à l’eau qui ne coule pas dans la capitale politique, pour avoir pensé à l’électricité qui va le plus souvent qu’il ne vient,  à tous ces jeunes élèves morts à Biyemassi juste pour avoir voulu marcher sur la route tortueuse de l’école…c’est pour avoir pensé à tout cela et tous ceux-là que ces citoyens ont peut-être réagit comme ils l’ont fait face à la dépouille de la mère de la mère de la nation.

Ce que la presse ne fait que relayer, est à classer parmi les expressions implicites et explicites de certains citoyens. Pour ceux-ci, il est nécessaire pour les dirigeants d’aussi et d’abord respecter les vivants avant d’espérer qu’on puisse respecter « leurs » morts. Respecter les vivants, c’est simplement s’occuper d’eux tant que ceux-ci vivent.  C’est s’assurer qu’ils naissent, vivent et même meurent dans un cadre humain et sans cesse humanisé. Respecter les vivants c’est leur offrir des possibilités de vivre la vie pour laquelle ils ont toujours aspirés. S’occuper d’eux c’est copier l’exemple de la défunte mère de la mère, maire des maires. C’est-à-dire, donner son temps, son argent, sa bonne humeur, son attention à ceux-ci. C’est être responsable d’eux, c’est-à-dire, être responsable de leur responsabilité pour parler comme le philosophe.

Mais à voir comment est-ce qu’ils sont dirigés, ces pauvres citoyens pensent que les dirigeants ne les conduisent qu’à l’abattoir comme les moutons après avoir ingurgités du bétail dépéri. Ils pensent que les dirigeants n’ont pour ambition que de les laisser mourir de faim, de soif et d’obscurité. De chômage, d’insécurité sociale, de vol, de viol et de toutes sortes d’agressions. Je pense qu’il est aussi nécessaire de souligner que nous vivons dans un contexte où les vivants ne se respectent pas eux-mêmes et voilà pourquoi ils tombent et meurent comme du n’importe quoi. Je pense que chaque citoyen devrait se comporter de leur vivant comme la mère de la mère qui vient de nous quitter. Chacun devrait se considérer comme portant en lui, en son sein, entre ses mains, un enfant qu’il devrait laisser naitre- pour le bien de la nation toute entière. Chacun devrait, tant qu’il respire encore, éviter d’être un « citoyen inutile », s’il ne souhaite pas aussi être un « mort inutile ».

Oui, le savant juriste l’a dit : « nous n’avons que des morts inutiles dans notre société ». Nous sommes dans une société où on a socialisé les uns et les autres à se moquer des morts. Aussi bien ceux d’en haut que ceux d’en bas. Ceux d’en bas ne pensent aux morts que lorsqu’ils constatent que leur vie ne vaut plus la peine d’être vécue et qu’il faut aller retirer le crâne, le salir d’huile rouge et de sel insipide. Et comme disait le philosophe, « ils meurent de faim devant les vaches prévues pour le sacrifice » aux morts. Pourtant, qu’elle est le plus grand sacrifice que de se donner pour soi-même et pour les autres. C’est une société au sein de laquelle les morts ont peu de chance de rester dans la mémoire des vivants. La seule chose sur laquelle ils peuvent miser toute leur vie future, serait que : ces vivants, au lieu de se saper de leurs œuvres, vont plutôt les saper avec la plus grande énergie.

Alors mère de la mère, maire des maires, au milieu de la cohorte des anges, plaide pour notre émergence.

Félix T. MBETBO

Chroniqueur,

monsieur2035@yahoo.fr

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