Lettre de Sankara aux burkinabés : j’ai vu la révolte, j’attends la révolution

Camarades, j’ai appris avec beaucoup d’émotions les derniers évènements survenus au pays des hommes intègres. L’émotion était si grande que j’ai failli laisser tomber une larme. Mais on m’a tout de suite fait comprendre qu’il est prohibé de pleurer là où je suis. Moi aussi je ne peux vous dire où je me trouve, au paradis ou alors au paradis. Mais il fait tellement beau vivre ici, que je suppose que l’atmosphère est arrosé à chaque aube matinière d’un air angélique. Je suis où je suis depuis plus d’un quart de siècle. Et comme vous le savez, j’ai été précipité ici, par un détour aux enfers, au mystérieux séjour de morts, après avoir été enseveli comme du n’importe quoi dans la terre lourde et étouffante de nos ancêtres. Plus besoin de vous le rappeler ici, que j’ai quitté la terre des hommes d’une mort naturellement étonnante. Aussi suspecte qu’ « un suicide avec trois balles dans la tête ». Nonobstant les subterfuges de mon frère et camarade Blaise Compaoré, avec la complicité des vaincus de la guerre d’Algérie et d’Indochine, personne ne peut plus nier que le crime de Caïn a été commis. S’inscrivant ainsi dans la triste liste des fratricides légendaires de notre ère. Mais je ne condamnerai pas mon frère Blaise pour ce crime odieux. Crime qui a fait de lui le criminel le moins romantique de notre temps. Froid et cynique, il ne retournera jamais sur le lieu du crime où sur la tombe de la victime pour déposer quelques fleurs de pacotille et des pleurs de crocodiles. Mais il n’a fait qu’obéir au destin, qui s’est servi de lui pour que les écritures s’accomplissent. D’une manière ou d’une autre, dans les temps modernes, les héros n’ont pas le droit de vivre si longtemps. Si Mandela y est parvenu, c’est juste parce qu’il est le dernier visage de l’héroïsme de ce siècle, qui à peine commencé veut déjà sonner le glas et baisser la garde.

Mais laissons à présent le passé à ce qu’il a et ce qui a été. Parlons du temps qu’il fait et de celui qui vient. Parlons du là et de l’à-venir, jeunes du Burkina. Vous qui venez de donner un exemple historique à la jeunesse africaine au-dessous du Sahara. Une jeunesse qui a toujours pensé depuis l’aube des indépendances, que l’avenir d’un pays peut se faire sans eux. D’ailleurs, c’est ce qu’on a toujours voulu vous faire comprendre. Vous avez toujours été considérés comme la cinquième roue du carrosse, à qui on ne fait recours que lorsqu’on est en panne. Quand il s’agit de siéger pour décider, discourir, manger et boire, on ne fait point appel à vous. Mais quand il s’agit de s’exposer au soleil, défiler avec des pancartes dithyrambique devant les yeux du système, chanter des cantiques en son honneur, voter en sa faveur, danser à ses pas…c’est à ce moment qu’on sait que vous existez. Hors de ces espaces et temps bien définis, au cours duquel le système phallocratique jouit de son plus grand orgasme, on vous laisse vous gercer le cul sur les bancs de l’école. Vous saouler dans les bars, vous ruiner dans les jeux de hasard, vous distraire dans les stades de football, et vous endormir dans les bras de celles qui n’ont d’autres moyens d’avancer dans la vie que d’écarter leurs jambes. Et ceux parmi vous qui ont essayé de rompre avec ce système carré qui ne fait que tourner en rond, ont subi les représailles du système de la manière la plus pétulante. Cette violence institutionnelle, et tous ces réseaux d’intimidation, ont réussi à installer dans l’éthos de toute une jeunesse, le culte de la peur et de l’ignorance. Les jeunes ont depuis lors, peur d’apprendre et d’entreprendre. Pour le plus grand malheur de l’Afrique.

J’ai vu comment les jeunes du Maghreb ont fait du printemps quelque chose d’arabe. Et j’ai entendu dire depuis là-haut qu’ils étaient plus courageux que les jeunes d’Afrique noire. Inaptes à toute révolution populaire.  J’ai vu comment, sans avoir voulu reprendre ce qui a été fait au-dessus de vos têtes, vous avez pris la plume pour écrire votre propre histoire. A un moment où le Burkina des temps présents n’arrivait plus à répondre de la gloire passée. Un Burkina où on meure de faim pourtant nous avions été l’un des rares à franchir le cap de l’autonomie alimentaire. Un Faso qui se laisse envahir par l’avancée du désert, pourtant jadis, conscient de notre éloignement de la côte donc de la mer, nous avions battu le pari de la révolution verte en par des dizaines de milliers d’arbres plantés. Un pays qui n’est connu ailleurs que sous le nom du pays des mobylettes et des analphabètes. Qui n’est connu que par le ridicule de ses habitants, que la famille Bobodiouf n’a pas eu de peine à diffuser. Je me reprochais moi-même de n’avoir pas été à la hauteur de la révolution que je prônais. Puisque je pensais n’avoir pas pu, malgré quatre brèves années, l’inculquer dans l’esprit de toute une génération. J’ai longtemps pensé que le drame du Faso résidait dans le fait que l’homme Burkinabé n’était pas assez entré dans l’histoire de l’Afrique. Ou alors que l’histoire de l’Afrique n’était pas assez ancrée dans leur être profond. Et qu’il fallait tout un siècle pour pouvoir y remédier. Mais aujourd’hui, je constate avec émerveillement que le vent de l’histoire a pris son temps, le temps pour que le fruit de la conscience soit assez mur, pour que simplement son souffle puisse le faire tomber. Voilà que, sans avoir eu besoin ni des forces armées ni des armes étrangères, vous avez osez inventer votre avenir.

J’ai vu comment vous avez tourné le cou à Victor Hugo ! Lui qui disait savamment qu’on ne fait pas la révolution avec les fleurs. Mais chers jeunes arrêtons-nous le temps d’un instant. Je vous parle depuis de révolution comme si elle était déjà arrivée ! Permettez-moi de classer l’exploit que vous venez d’accomplir dans le cadre des « révoltes émeutières ». Certes vous êtes descendus dans le rue comme un seul homme mais pas comme un homme seul. Vous avez de vos bras brisé les murs de Jéricho, les murs de la répression, ceux de l’impérialisme. Vous avez brulé ce qu’il y’avait à bruler, et casser ce qu’il y’avait à casser. Quoiqu’on dise toute émeute a un penchant animal, brutal et subversif. La police n’a pas pu tirer sur vous parce qu’elle savait inconsciemment que c’était aussi leur histoire que vous étiez en train d’écrire à leur insu. Ainsi, comme toutes révoltes, vous avez renversé un système, vous avez renversé un homme. Mais ce n’est pas encore cela la révolution, ce n’est pas encore cela la démocratie. Car celle-ci ne nait pas de terre comme un champignon sans avoir eu besoin que la dictature tombée en terre lui serve d’humus. La révolution n’est pas dans le renversement des hommes seulement, mais aussi dans le renversement des principes. Car il ne sert à rien chers jeunes, de changer les hommes et de garder les mêmes principes sur lesquels ils se servaient pour asservir! Regardez avec moi l’Egypte, l’Irak, la Lybie, et partout où on a pensé changer les choses juste en voulant violement changer les hommes.

Ces principes jeunes, sont ceux que j’ai passé quatre courtes années à vouloir vous les inculquer. L’intégrité, l’honneur, la dignité ! Ces valeurs qui ne sont autres que les valeurs humaines, humanistes à la limite. Et vous ne les incarnerez que le jour où vous allez comprendre que la révolution, comme le disait le philosophe, est d’abord une auto-révolution. Après avoir renversé le mur qui était en face de vous, travaillez désormais à renverser celui qui est en vous. Si vous ne voulez pas que vos dirigeants se recouvrent de la peau dure comme celle au crocodile du Botswanga ; alors faites vous-mêmes peau neuve dans tous les sens du terme et de l’épiderme. Si vous ne voulez pas que certains puissent bénéficier de votre « révolution » à vos dépens, montrez-vous aussi aptes à vous diriger vous-même avant d’espérer diriger les autres. Soyez fiers de ce que vous venez de réaliser, mais ayez à l’esprit que ce n’est que le début d’un long chemin vers la liberté. Une liberté qui ne se donne pas, mais qui n’est qu’un quête permanente dans les éternelles luttes quotidiennes contre soi et contre les autres. Vous ne servirez d’exemple historique aux autres jeunes d’Afrique noire, que le jour où viendra votre « matin de clameur ». Comme le dit l’écrivain, le jour où naitra cet homme nouveau, cet enfant. Oui, ce pays attend un enfant, je pense avec lui qu’ « il faut que l’enfant naisse » ! Je pense aussi que pour que l’enfant naisse, il faut que le pays «  se donne ». Se donne au travail, à l’ensemencement, à la culture et à la moisson. Cultivez votre jardin avec vos propres mains, et quand viendra l’heure de la récolte, ne laissez personne vous en voler le fruit. C’est ainsi que vous allez prendre possession de vous-mêmes, et ainsi vous posséderez le pays.

Lettre rendue publique par,

Félix T. MBETBO

Chroniqueur

monsieur2035@yahoo.fr

 

 

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