Seigneur : prends Hubert Mono Ndjana et rends nous Charles Ateba Eyene

  • Contre-le-militantisme-panégyriste et les politiciens de Sodome et Gomorrhe

Monsieur Charles a été malgré lui, comme un « héros national », oint à titre posthume.  Baltasar Gracian appelle héros, « tous les personnages illustres, les grands hommes de guerre, les grands esprits pour la politique, les grands hommes dans la magistrature, les génies extraordinaires pour les lettres, etc. » Cette définition à elle seule ne peut faire douter l’observateur émotif et passif, du caractère héroïque de monsieur Charles. Surtout au regard des obsèques de ce dernier. Qu’est ce qui peut bien nous étonner dans ce pays où les dos d’ânes sont aisément pris pour des montagnes, les chiquenaudes pour des ouragans ; où un individu presque ordinaire a rang de héros, et de martyr un homme frappé d’une « mort naturelle ». Mais disons sans fards ni ambages que monsieur Charles n’a pas été tué, ni vendu ni acheté. Si dans cette mort un principe marchand a existé, ce serait uniquement à un niveau individuel : il a simplement à la nature payé son tribu.

Aussi brutalement, monsieur Charles laisse une « énorme » littérature, entre les mains et les nains esprits des camerounais n’ayant avec la lecture rien à voir. Il laisse de nombreuses problématiques restées superflues de son vivant, qu’il traitait lui-même avec une émotive superficialité. Il meurt où les hommes sont de leur mort plus utiles que de leur vivant. Mais c’est aussi où on a politisé les gens à se moquer des morts. Faisant dire à Kamto que : « nous n’avons que des morts inutiles » dans nos sociétés; des morts qui d’humus ne peuvent servir à cette terre hostile à toute germination. Car depuis l’époque coloniale, le corps du colonisé, du subalterne, du subversif : est dans sa profanité, « assimilé au reste des choses ». Son cadavre reste posé sur terre, simple objet inerte, condamné dans la position de « ce qui est là pour rien » dira Achille Mbembe.

Si monsieur Charles comme beaucoup d’autres est « mort pour rien », nous savons au moins qu’il n’est pas né pour rien. Il aura passé sa vie de militant du flamboyant parti du pouvoir, à prendre parti du « contre-pouvoir ». Dans un Cameroun où à la personne du Chef se manifeste au premier chef une inquiétante peur, comme Banda, monsieur Charles venait à chaque fois : « secouer la tutelle ». Dans un  pays où on voue un inculte culte aux occultes forces et aux dolentes idoles, monsieur Charles venait tout dé-fétichiser. C’est en cela qu’il était un subversif pour les adhérents du parti du statu quo, de l’inanité, de l’ « inertie ». Seigneur, monsieur Charles n’était pas un partisan de l’unanimisme, il invitait toujours à se battre dans le débat.

Il a été l’un des rares Rdpécistes à avoir eu le toupet de cogiter sur l’après Biya, un sujet que ses camarades classaient dans la « futurologie », les « supputations ». Le « politisophe » Mono Ndjana, fait partie de cette triste liste des intellectuels monolithiques, « des défenseurs les plus acharnés de la monocratie » (Ambroise Kom : 2000), des « politiciens de Sodome et Gomorrhe ». A peine des amphis libéré, ses premiers écrits seront consacrés à la consécration et à la théorisation du monolithisme politique, de l’autoritarisme, du « monofascisme ». Il ne va pas tarder à balancer ses méthodes philosophiques au placard, la critique dialectique laissant place aux louanges, à l’idolâtrie, à une sorte de « militantisme panégyriste » qui ne dit pas son nom. Laissant constater avec Kamto qu’ « il est plus aisé de faire des cantiques que de garder l’esprit en éveil ». (1993 : 114)

Ce type de militantisme, est du style benthamien ; stipulant qu’on ne s’engage dans l’action politique que pour un gain à tirer : c’est la logique de la rente, de la vénalité. Et c’est dans cette meurtrière logique qu’à bien voulu s’engager notre cher « politisophe ». Njoh Mouelle –l’un des rares à avoir fait la politique en philosophe- constate avec raison dans son Député de la nation que, « autant les militants de base attendent bénéficier des retombés de leur appartenance au parti, autant les dirigeants, de leur côté, attendent bénéficier de diverses facilités pour eux-mêmes ou pour les leurs, des membres de leurs familles ou des amis » (2002 :32), il faut donc « un minimum de formation…pour leur donner des véritables raisons de militer », (2002 : 31). Nous observons avec amertume et nostalgie le comment et le pourquoi de l’engagement politique en Afrique noire de nos jours. « Jadis les hommes politiques se croyaient investis d’une mission au service de la collectivité…aujourd’hui c’est l’univers de l’opportunisme » (Kamto : 1999).

En observant bien ce qui a pu se passer entre Mono Ndjana et Kamto à la fin des années 80, on a l’impression que le juriste s’adresse au « politisophe » dans cette dernière citation extraite du livre Déchéance de la politique. Ce conflit nait après la publication de l’ouvrage apologique de Mono Ndjana : L’idée sociale chez Paul Biya. Inutile d’en dire un mot ici, le titre seul montre la teinture dithyrambique dont l’ouvrage est bigarré. Pareille attitude adoptée dans l’ouvrage Les proverbes de Paul Biya, une sorte de « cantiques des cantiques » dédiée au « créateur ». Ce qui intéresse c’est de constater le climat qui a été subsidiaire à ce conflit. « À vrai dire, l’essai serait vite tombé dans l’oubli, n’eût été un compte rendu de lecture en forme de réquisitoire rédigé par Maurice Kamto et publié dans un journal local » (Kom : 45). Ce compte rendu critique du juriste sur l’ouvrage du politisophe, a comme une sorte de provocation sonné aux oreilles de celui-ci, qui n’a pas caché son désamour pour la dialectique ; s’enfermant dans « l’idée maléfique » que toute « pensée non engagée dans l’unanimisme est subversive ».

Dans La malédiction francophone, Ambroise Kom rappelle ce qui a été la réponse de Mono Ndjana : « l’Etat c’est moi et quiconque s’en prend à moi, s’attaque à l’Etat ». Il va donc tout mettre en œuvre pour rabattre le caquet à l’éminent juriste. Ce dernier finira par passer à la laide étoile quelques nuitées en toute nudité dans les geôles dont la nullité est sans publicité. C’est dans ce contexte que nait son ouvrage L’urgence de la pensée, dans lequel il ne passe pas par quatre chemins pour rappeler ce que doit être le rôle du savant près du politique : « tracer le sillon sur lequel l’homme politique marchera » (1993 : 114). Mais il se peut que plusieurs intellectuels d’Afrique noire, n’aient fait autre chose que de tracer des sillons abreuvés du « sang impur » des innocents, que nos politiques n’ont pas hésités à enjamber.  C’est ce qui fait dire clairement à Jean Marc Ela que : « les intellectuels ont été les grands théoriciens des régimes corrompus » (1990 : 51). Plus besoin de vous demander de suivre mon regard.

Aujourd’hui, n’ayant pas bénéficié bel et bon de la vache à lait et de la prairie, la chèvre doublement affamée et assoiffée comme l’âne de Buridan, renie tout et tout le monde. Notre chèvre se plaint d’avoir été attachée dans une prairie où l’herbe tarde à pousser. Seule sa corde arrive à « tenir le coup », car elle est si bien attachée et ne lui laisse d’autre choix que de bouffer ses crottes et urines sécrétées çà et là. Notre « politisophe » se sent étranger chez lui, il crie à l’injustice, à l’ingratitude. Nous laissant penser que son panégyrisme masqué par son militantisme n’était que subterfuges ; que toute sa carrière n’avait pour acmé que la recherche d’un peu d’herbe à brouter. Le pauvre aura compris que les « chèvres de la prairie » marchent ensemble mais n’ont pas le même prix ! Comme dans la Fable de la « laitière et le pot de lait »,  les calculs du « broutard-politicard » ont donc échoué. Désormais s’installe l’aigreur, la désolation et les remords avec. La chèvre aujourd’hui veut retourner sa fourrure, elle n’est pas chassée de la prairie, mais elle maudit déjà le bétail ; comme Wilfried Otterman maudissant le ciel une fois du paradis chassé.

D’une manière ou d’une autre, peu sont ces gens du système ayant compris comme monsieur Charles que : c’est du choc des idées que nait la vérité ; qu’une société unanimitaire est une société d’inanité. Comme Fénelon, il avait compris qu’ « il faut être prêt à fâcher ceux qu’on aime, plutôt que de les flatter ou de les trahir par son silence ». Voilà pourquoi nous regrettons un peu sa mort, et constatons avec désolation que son innocent sang n’ait pas pu servir d’humus à nos terres arides à la contestation ; que sa méthode n’ait pas pu inspirer ceux qui lui ont survécu. C’est vrai qu’est « mort pour rien » monsieur Charles ; mais s’il fallait qu’au prix de quelque chose ou de quelqu’un mon Dieu il revienne, plein d’individus on aurait sur la liste pour échanger de bon gré et sans regret. Car entre un « vivant inutile » et un « mort inutile », il n’y a pas de choix. Nous préférons un félin mort qu’une chèvre affamement vivante.

Félix TATLA MBETBO

Chroniqueur

monsieur2035@yahoo.fr

 

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