L’agriculture au menu du 23e Sommet de l’Union africaine

Les chefs d’Etat et de gouvernement africains des 54 pays de l’UA réunis à Malabo, en Guinée équatoriale, font le bilan de leur politique agricole élaborée il y a dix ans, mais si peu suivie dans les faits.

Le sommet de l’Union africaine, qui s’est ouvert le 20 juin à Malabo en Guinée équatoriale, a pour thème « L’agriculture et la sécurité alimentaire en Afrique ». C’est dans le but de donner une nouvelle impulsion à ce secteur essentiel de l’économie africaine, qui emploie deux tiers de la population du continent, que la décision avait été prise il y a deux ans par les Etats membres de l’UA de consacrer leur 23e sommet aux heurs et malheurs de l’agriculture africaine.

Le document de travail (« concept note ») du sommet de Malabo rappelle que 2014 est aussi l’« Année de l’agriculture et de la sécurité alimentaire en Afrique ». Se déroulant dix ans après le lancement du Plan détaillé de développement de l’agriculture africaine (PDDAA/Nepad)  qui avait pour objectif d’aider les pays africains à atteindre le taux de croissance agricole de 6% par an, le sommet de Malabo peut difficilement faire l’économie du bilan des avancées et reculs enregistrés par l’ensemble du continent dans ce secteur au cours de la décennie écoulée.

Rappelons un autre anniversaire. C’est en 2003, lors du sommet de Maputo, au Mozambique, que les pays africains s’étaient engagés à consacrer au moins 10% de leur budget national au secteur agricole (agriculture, élevage et pêche). Il s’agissait pour les pouvoirs publics de stopper l’hémorragie d’investissements dans ce secteur sous l’effet des plans d’ajustements structurels déployés dans les années 1980. L’agriculture étant le premier moyen de subsistance en Afrique (17% du PIB), investir dans ce domaine permet à la fois de pérenniser les emplois et de réduire la faim et la pauvreté, qui est le premier Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD). Selon la Banque mondiale, la croissance du secteur agricole est environ deux fois et demie plus efficace pour faire reculer la pauvreté que la croissance dans les autres secteurs.

« De la rhétorique à l’action »

Or, dix ans après Maputo, force est de constater que l’engagement pris dans la capitale mozambicaine n’a été respecté que de manière très disparate et limitée par les Etats africains. Seulement 10% des 53 pays signataires du protocole peuvent se targuer d’avoir alloué 10% de leur budget au secteur agricole. L’essentiel des bons élèves se trouvent dans l’espace sahélien ou ouest-africain (Burkina, Niger, Guinée, Sénégal, Mali, Ghana) ou en Afrique orientale (Ethiopie, Malawi). Le Ghana, le Burkina ou l’Ethiopie, considérés comme des « champions de Maputo », ont vu leur secteur agricole croître rapidement et se moderniser. Les pays côtiers figurent parmi les mauvais élèves, avec le géant nigérian qui consacre moins de 2% de son budget au secteur agricole.

Les « bons élèves » : investissements agricoles en % des dépenses publiques

2008    2009    2010

1. Burkina Faso                                     15,8      8,7        10,8
2. Burundi                                                 5,8       7,7       10,3
3. Congo                                                   7,4      10,1     13,7
4. Ethiopie                                               18,9     17,6      21,2
5. Ghana                                                  10,2      9,0         9,1
6. Guinée                                                 14,5       N.D.     N.D.
7. Malawi                                                  22,4      23,2     28,9
8. Mali                                                      12,7      10,2     11,1
9. Niger                                                    18,9       13,9    12,7
10. Sénégal                                             13,9       13,9    13,9
11. Togo                                                     9,6         4,8       9,1
12. Zambie                                              12,5        9,3     10,2
13. Zimbabwe                                          22,0      25,8     30,2

Les organisations de la société civile, qui ont lancé à l’occasion du sommet de Malabo une campagne pour rappeler aux dirigeants africains leurs engagements, regrettent que le respect du ratio de Maputo ne soit pas obligatoire. Elles demandent que l’UA passe de la « rhétorique à l’action » et pointent du doigt la facture croissante des importations de produits alimentaires. L’Afrique, qui consacre déjà 33 milliards de dollars chaque année à l’importation de denrées de base, aura du mal, craignent les observateurs, à suivre le rythme de l’enchérissement effréné des prix.

Une décennie perdue ?

Une décennie perdue ?

Toutefois, la décennie qui a suivi les accords de Maputo n’a pas été une décennie perdue, si l’on en croit Sibiri Jean Zoundi. Pour ce grand spécialiste de l’agriculture africaine, qui se trouve être aussi l’administrateur principal du Club du Sahel à l’OCDE, « même si les engagements de Maputo n’ont pas été pleinement tenus, Maputo demeure un tournant majeur dans la prise de conscience en Afrique des potentialités du secteur agricole et de la nécessité de mettre en place des infrastructures modernes adéquates, notamment celles qui permettant de relier les zones de production aux zones de consommation ». A titre d’exemple, Sibiri Jean Zoundi cite les travaux en cours pour la construction de la ligne de chemin de fer reliant Abidjan à Niamey et Cotonou. « L’entrée en service de cette ligne transnationale va révolutionner l’agriculture africaine, en connectant les pays côtiers avec les pays sahéliens », affirme-t-il.

Quelle sera, selon l’expert, la prochaine étape de la révolution agricole africaine que celui-ci semble appeler de tous ses vœux ? « Il faut désormais passer, explique-t-il, d’une stratégie de sécurité alimentaire à une stratégie de souveraineté alimentaire, c’est-à-dire relever le défi de financement de cette souveraineté. A mon avis, les débats au sommet de Malabo vont beaucoup tourner autour de cette question, car les dirigeants africains savent aussi bien que vous et moi que parler de la  » souveraineté  » n’a aucun sens si sa mise en œuvre doit dépendre du bon vouloir des partenaires externes, quelle que soit leur générosité ! »

Une dernière remarque du spécialiste à l’attention des chefs d’Etat et de gouvernement réunis en Guinée équatoriale : « Enfin, je soumettrais un autre sujet à leur sagacité,  celui de savoir si la pratique d’une agriculture vivrière intensive est compatible avec les défis climatiques auxquels notre continent est désormais confronté ? Bref, le tout-agriculture peut-il résoudre les enjeux alimentaires d’aujourd’hui et de demain ? » 

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