Lapiro de Mbanga : Qui n’est rien n’a rien

Maintenant que la valse des oraisons hypocrites est achevée, osons le swing de la lucidité : Lapiro de Mbanga ne sera jamais Fela. Il aurait pu. On l’aurait voulu. Mais, il ne le sera jamais.

Le magma de larmes et d’éloges qui a dévalé les flancs du mont Cameroun culturel au lendemain de la disparition du «Ndinga Man» était brulant, certes. Mais pas suffisant, très peu consistant pour faire fondre les portes de la case sacrée et faire rentrer l’apôtre des sauveteurs dans le «Laakam musical africain» où reposent d’autres têtes brulées comme Franklin Boukaka, Fela Anikulapokuti ou Lucky Dube. Il y a eu des pleurs. Des regrets. Des plateaux thématiques à la télé. Des posts enflammés sur Facebook.  De l’émotion éphémère, en spectacle. Et ce fut à peu près tout. Pour Lapiro de Mbanga -comme pour Eboa Lottin, Francis Bebey, Willy N’For, Noel Ekwabi, Bebey Manga avant lui,  le Cameroun a jalousement préservé sa réputation d’indifférence et de froideur vis-à-vis de ses icones. Lapiro ne sera pas Fela. Parce qu’après avoir animé le combat des libertés dans son pays, il n’a pu prétendre à une symbolique reconnaissance nationale. Comme Fela, le 12 aout 1997. Ou Lucky Dube, le 24 octobre 2007… On se justifiera en disant qu’il est mort en exil. Qu’il a lui-même demandé à être incinéré hors du berceau de ses ancêtres. «Erreur for Mboutoukou…»

A regarder de près pourtant, la vie de Lambo Sandjo Pierre présente plusieurs ressemblances avec celle de Fela et Dube. Comme ces deux monuments, Lapiro se voulait mégaphone du mal-être des masses populaires. Comme le père de l’Afrobeat et l’égérie du Reggae Qwassa, il chantait en pidgin, mêlant avec dextérité la corrosive causticité, la désespérante irrévérence et la flamboyante rhétorique «quartiersarde» qui, d’un souffle, dégoupille la grenade des malaises sociaux. Comme le «Black President» Fela et le «Soldier» Dube, Lapiro s’est attaqué, de manière frontale, aux gouvernants indélicats. Ses piques à la «Constitution constipée» de son pays font écho aux attaques du nigérian aux VIP («Vagabonds In Power») de Lagos et aux dénonciations répétées des «White Killers» par le sud-africain. Comme Fela et Dube, Lapiro était honni des apparatchiks. Comme Fela et Dube, il a connu la censure et/ou l’incarcération. Paradoxalement, pour les trois hommes, la privation de libertés a renforcé leur popularité et servi de levain à leur engagement politique. Fela s’est constitué candidat à la l’élection présidentielle nigériane de 1983, sous la bannière du Movement of People. Lapiro a flirté avec la chefferie traditionnelle avant de se laisser tenter par la Mairie, sous les couleurs du Social Democratic Front (SDF) en 2007/2008. L’ambition politique n’a cependant jamais affecté l’attachement à la condition sociale originelle chez les trois stars. Lapiro est ainsi resté fidèle à ses Jeans délavés et à la localité de Mbanga, comme Fela à ses slips et à Kalakuta ou encore Lucky Dube, aux dreadlocks et aux townships de Johannesburg. Unis par une vie de combattant, Fela, Dube et Lapiro ont aussi en commun une mort difficile : SIDA pour le nigérian, assassinat par balles pour le sud-africain, cancer pour Lapiro de Mbanga. «Longs crayons dem di talk say (….) : The thing wè yi do caca, na yi go do café..”.

Au propre comme au figuré, l’après-vie a séparé les trois hommes. Deux poids, deux mesures. A la mort de Fela, les autorités nigérianes ont reconnu officiellement avoir perdu «l’un des hommes les plus valeureux de l’histoire du pays». Quatre jours de deuil national ont été décrétés. Plus d’un million de nigérians ont accompagné le «Black President» à sa dernière demeure à Gbemisola, Ikeja. Aujourd’hui encore, on compte une dizaine de biographies sur Fela, une rue et un musée en son nom à Lagos.

Six jours après l’assassinat de Lucky Dube, un concert-hommage réunissant un millier de personnes a été organisé près de son domicile. Des groupes légendaires à l’instar des Mahotella Queens et des Soul Brothers ont presté pendant la cérémonie, au cours de laquelle plusieurs messages de condoléances ont été lus, notamment ceux des présidents du Sénégal et de Gambie.  Thabo Mbeki, Président sud-africain à l’époque, et  l’Union des joueurs de football sud-africains ont délivré des messages officiels louant l’héritage légué par Lucky Dube et dénonçant la violence. Le reggaeman a été inhumé dans sa ferme de Newcastle (KwazuluNatal). Une rue de la localité porte son nom depuis décembre 2007. Aux héros, la nation reconnaissante….

Lapiro de Mbanga, lui, n’a eu droit à rien. Ni déclaration officielle des autorités de son pays. Ni méga-spectacle d’hommage. Ni statue. Ni rue à son nom. Rien. Trois dizaines de compatriotes à la messe dite dans une église de Buffalo à New York, un regroupement familial d’artistes à Paris….Et toute une vie de combat incinérée dans l’anonymat. Aux «zéros», la nation méprisante…..

Lapiro ne sera donc jamais Fela. Parce que la République de Mbanga n’a pas la loyauté du peuple de Kalakuta. «Which kanna countri dis ? You (…) work like a djakass. If U no dey for équipe nationale, no man go tell you Assia»…

Nick B.

 

 

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