Affaire des écoutes : pourquoi Sarkozy est placé en garde à vue

Pour la première fois dans l’histoire de la Ve République, un ancien chef de l’Etat est en garde à vue. C’est sous ce régime coercitif que Nicolas Sarkozy est interrogé depuis mardi 1er juillet au matin. Comme Le Monde l’avait révélé la veille, M. Sarkozy avait été convoqué à Nanterre (Hauts-de-Seine), au siège de l’office central de lutte contre la corruption les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) de la direction centrale de la police judiciaire.

L’ancien président de la République a rejoint dans les locaux de la police son avocat, Me Thierry Herzog, et deux hauts magistrats de la Cour de cassation, Gilbert Azibert et Patrick Sassoust, eux-mêmes placés en garde à vue dès lundi matin. Les quatre hommes sont tous interrogés dans le cadre de l’enquête pour « trafic d’influence » et « violation du secret de l’instruction » menée par les juges d’instruction Patricia Simon et Claire Thépaut, du pôle financier du tribunal de grande instance de Paris.

Les magistrates, qui mènent leurs investigations dans la plus grande discrétion, enquêtent sur un réseau d’informateurs susceptible d’avoir renseigné les proches de M. Sarkozy, voire l’ancien président de la République lui-même, dans les procédures judiciaires pouvant le menacer, en particulier le dossier Bettencourt.

C’est à la faveur de l’enquête sur un possible financement libyen de la campagne présidentielle victorieuse de M. Sarkozy, en 2007, que des interceptions téléphoniques opérées en janvier et février 2014, ont révélé des faits troublants : l’ex-président et son avocat semblaient ainsi très renseignés sur l’avancée des travaux de la Cour de cassation, alors saisie de la procédure Bettencourt. Par ailleurs, il apparaît aussi que les deux hommes se savent placés sur écoute, au point d’acheter en toute discrétion, sous un nom d’emprunt, des téléphones portables. D’où l’incrimination de « violation du secret de l’instruction ».

Lire le décryptage : Affaire des écoutes : ce qui est reproché à Nicolas Sarkozy

INFORMATIONS CONFIDENTIELLES

Gilbert Azibert, premier avocat général près la Cour de cassation, où il est affecté à une chambre civile, et son collègue Patrick Sassoust, avocat général à la chambre criminelle de la haute juridiction, sont donc suspectés d’avoir faitbénéficier M. Sarkozy, via son avocat, d’informations confidentielles.

Puni de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 euros, le trafic d’influence vise, selon l’article 433-2 du code pénal, le fait « de solliciter ou d’agréer, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour lui-même ou pour autrui, pour abuser ou avoir abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d’une autorité ou d’une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable ».

En l’occurrence, M. Azibert – les échanges téléphoniques captés entre MM. Sarkozy et Herzog en attestent – souhaitait obtenir un appui de l’ancien président de la République afin de décrocher un poste en principauté de Monaco.

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SARKOZY APPARAÎT COMME LE « DONNEUR D’ORDRES »

Si le contenu des écoutes téléphoniques entre M. Sarkozy et Me Herzog est extrêmement embarrassant pour les deux hommes, leur implication n’est pas la même. L’ancien président apparaît comme le « donneur d’ordres », bénéficiaire final des informations obtenues, son avocat jouant davantage les intermédiaires. En effet, c’est Me Herzog qui est en liaison régulière avec M. Azibert. Les deux hommes se connaissent depuis de longues années. L’avocat rendant compte ensuite à M. Sarkozy. De fait, M. Sarkozy, lorsqu’il évoque M. Azibert, parle de « notre ami », suggérant une grande proximité avec le haut magistrat.

Il reviendra aux deux juges d’instruction de décider du sort judiciaire de l’ancien chef de l’Etat. La garde à vue peut durer 48 heures au maximum. A l’issue de celle-ci, M. Sarkozy pourrait être relâché ou conduit devant les magistrates. Trois possibilités s’offriront alors à elles : interroger M. Sarkozy comme témoin simple, ce qui signifierait qu’aucune charge ne pèse sur lui ; lui accorder le statut hybride de témoin assisté ; le mettre en examen, si elles estiment avoir réuni contre lui des « indices graves et concordants » d’avoir commis une infraction. Nul doute que le sort judiciaire réservé à Me Herzog et aux deux magistrats, à l’issue de leur garde à vue, donnera une indication forte sur la matérialité des faits reprochés aux suspects.

RÉSEAU D’INFORMATEURS, AU SEIN DE L’APPAREIL D’ÉTAT

Reste que les écoutes téléphoniques opérées par les juges Serge Tournaire et René Grouman dans le dossier libyen n’ont pas seulement révélé cette affaire de trafic d’influence. Elles ont surtout mis en lumière l’existence d’un réseau d’informateurs, au sein de l’appareil d’Etat, notamment dans les institutions policières et judiciaires, dévoué à Nicolas Sarkozy, mais elles révèlent aussi « l’entrisme » pratiqué par l’ancien président ou ses proches pour obtenir des informations sur les procédures susceptibles de le menacer.

Au mois de mars, le patron du contre-espionnage français, Patrick Calvar, avait confirmé aux juges que M. Sarkozy lui avait ainsi personnellement téléphoné, en juin 2013, pour se renseigner sur les avancées de l’enquête liée à l’éventuel financement libyen de sa campagne présidentielle, en 2007. Plaçant de fait ce haut fonctionnaire dans une situation intenable.

 

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