L’ex Président Tchadien Goukouni Weddeye sur la mort de Sankara: « J’ai des soupçons sur Kadhafi » !

À 75 ans, l’ancien président tchadien Goukouni Weddeye se confie dans ‘’Combattant, une vie pour le Tchad’’, aux éditions Espaces et Signes. En octobre 1987, six jours avant la mort de Thomas Sankara, il logeait dans un hôtel de Ouagadougou. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Il y a une scène étonnante que vous racontez, nous sommes en octobre 1989, vous dites qu’Idriss Déby et Mouammar Kadhafi se retrouvent devant une carte du Tchad pour préparer une offensive militaire contre le régime de Hissène Habré. Vous dîtes que Kadhafi veut attaquer par l’Ouest, Déby veut attaquer par l’Est. Et finalement Kadhafi se laisse convaincre par Déby qu’il vaut mieux attaquer par l’Est, pourquoi ?

Parce que les Libyens pensent à l’époque qu’à partir du Lac Tchad, nous sommes tout près de Ndjamena, donc avec les moyens que la Libye va déployer, avec ces forces, Idriss peut prendre Ndjamena très facilement. Mais là, Idriss, sachant le terrain, refuse, pour privilégier l’Est.

Parce que c’est là que sont ses troupes…

Voilà.

Et puis arrive mai 1990. Le rebelle Idriss Deby est basé à Koufra dans le Sud libyen, et secrètement il va voir Gnassingbé Eyadema à Lomé pour lui demander de plaider sa cause auprès de François Mitterrand à Paris. Pourquoi Eyadema accepte-t-il, alors qu’on connaît ses bonnes relations à l’époque avec Hissène Habré.

Parce qu’Eyadema voulait récupérer les prisonniers libyens entre les mains de Hissène Habré afin de les remettre à Kadhafi. Hissène trompait toujours Eyadema. À chaque fois qu’il posait la question à Hissène, Hissène disait : « on verra on verra », et finalement il a eu cette occasion, c’est une sorte de vengeance.

Et toujours lors de ce même mois de mai 1990, Idriss Déby est reçu quasiment comme un chef d’État à Ouagadougou, ça veut dire qu’Hissène Habré avait beaucoup d’ennemis en fait parmi les chefs d’État africains?

Il ne le savait pas, mais il en avait beaucoup.

Il ne le savait pas ?

Je ne pense pas. S’il l’avait su, il aurait pu prendre des mesures (rires).

Donc on voit bien la stratégie d’Idriss Déby, c’est de se rapprocher de François Mitterrand, c’est pour ça qu’il va voir Gnassingbé Eyadema et Blaise Compaoré, mais il n’y arrive pas tout de suite. Pourquoi Mitterrand hésite-t-il ? Et pourquoi finalement après la Baule il dit « ok on soutient Déby » ?

Après La Baule, le discours d’Hissène Habré l’a tué certainement.

Le discours d’Hissène Habré à La Baule, quand il s’oppose à l’ouverture politique et au multipartisme tel que le propose Mitterrand ?

C’est ça. Personnellement, lorsque j’ai suivi ce discours, j’ai dit : « l’avenir d’Hissène s’arrête là ».

Et on arrive donc à cette rencontre à Amsterdam au mois de juillet, ou là les services secrets français testent Idriss Déby…

Oui, pour savoir la position exacte d’Idriss Déby. Un, est-ce que si Idriss arrive à prendre le pouvoir, il va s’aligner du côté de la Libye ? Deux, est-ce qu’Idriss va fermer la base française au Tchad ? Donc à chaque réponse, Idriss, «du tic au tac», répond. Et finalement les Français sont satisfaits de leur entrevue et sans rien dire, ils repartent.

Tout à fait autre chose Monsieur le Président, on remonte dans le temps. Nous sommes en octobre 1987 à Ouagadougou, ce sont les derniers jours de la vie de Thomas Sankara, vous êtes sur place à l’invitation du chef de la révolution burkinabè, et vous racontez que vous assistez à un drôle de manège de la part du numéro deux du régime, Blaise Compaoré…

La veille, j’ai eu des problèmes avec Sankara à cause d’ Acheikh Ibn Oumar [ un rival de Goukouni Weddeye à la tête de la rébellion tchadienne, ndlr] je me suis fâché… J’ai quitté [la réunion avec Thomas Sankara et Acheikh Ibn Oumar, ndlr] un peu fâché pour rejoindre mon hôtel. Le lendemain soir, Blaise Compaoré en tenue officielle est venu me saluer, un peu agité. Il m’a salué puis m’a posé la question : « Pourquoi vous avez eu des problèmes avec Sankara ? » Moi je lui ai répondu : « Non je n’ai aucun problème avec Sankara, Sankara c’est un militant ». J’ai fait un peu son éloge. Ensuite il s’est tu et m’a demandé où se trouvait la délégation libyenne.

Nous sommes à l’hôtel Silmande de Ouagadougou ?

Voilà, c’est ça. Donc Compaoré est sorti. En sortant, je lui ai dit en parlant de mon garde du corps qui était devant la porte : « Il va t’indiquer où est la porte du chef de la délégation libyenne ». Donc, il est parti je n’ai pas eu d’autres contacts. Le lendemain, le 9 [octobre 1987] précisément, Sankara a organisé une rencontre entre moi et Acheikh. Donc Acheikh est venu, moi je suis venu, on a discuté, on ne s’entendait pas très bien mais pour faire plaisir à Sankara nous avons signé un PV, un communiqué de presse. Ensemble on a quitté son bureau pour sortir. De là, on est sorti sur le balcon derrière. En sortant, Sankara me tenait par le bras, et on devançait les autres. Sankara dit : « si quelqu’un prend cet endroit le coup d’État est réussi ».

En montrant quel endroit justement ?

En dessous, il y avait un bâtiment. Fait de quoi ? Je ne sais pas. Il m’a montré ce bâtiment pour me dire : « si quelqu’un prend ça, le coup d’État est réussi ». Je ne comprenais pas ce qu’il disait. Je n’ai pas posé la question et, juste après, on s’est salué, je suis parti directement à l’aéroport. C’était le 9, le 15 j’ai appris sa mort.

Donc six jours avant la mort de Thomas Sankara, vous écrivez que Thomas Sankara vous dit en montrant ce bâtiment, ce pavillon : « celui qui occupera ce pavillon aura gagné le coup d’Etat ».

Voilà, c’est ça. Je ne sais pas dans quel esprit, je ne savais même pas qu’il était en bisbille avec son vice-président [Blaise Compaoré, ndlr], je n’en avais aucune idée.

Et ce pavillon est justement l’endroit où il a été tué ?

Je ne sais pas.

Vous dites que sur place à Ouagadougou, Blaise Compaoré mijotait sûrement quelque chose avec le chef de la délégation libyenne. Et vous le nommez, c’est Mahammat Ali Chaffardine.

Oui, c’est lui qui nous a amenés [ à Ouagadougou, ndlr ]. Il y a beaucoup de spéculations [sur le commanditaire de l’assassinat de Thomas Sankara, ndlr]. Certains disent que c’est celui d’Abidjan, le vieux Houphouët, d’autres disent que c’est François Mitterrand etc… Mais je crois que la Libye n’est pas loin.

D’où la présence de Mahammat Ali Chaffardine à Ouagadougou ?

Voilà, c’est pourquoi je dis que les Libyens ne sont pas loin dans cette affaire, puisqu’à l’époque, Sankara avec le soutien des pays progressistes, voulait nous réconcilier entre rebelles et ensuite avec Ndjamena. Donc les Libyens n’y avaient pas intérêt.

Mais Thomas Sankara, c’était une grande figure de la cause anti-impérialiste, comme Mouammar Kadhafi. Pourquoi les Libyens auraient-ils voulu neutraliser le chef de la révolution burkinabè ?

Pourquoi ils ont tenté le coup d’État à Ndjamena contre moi [en octobre 1981] ? Pourtant j’étais en bons termes avec les Libyens. Dans la mentalité du colonel Kadhafi, ou tu étais avec lui à 100% ou tu ne l’étais pas. Il n’y avait pas 36 solutions dans cette positon.

Pensez-vous que Mouammar Kadhafi et Blaise Compaoré ont conspiré contre Thomas Sankara ?

Je devine comme ça mais personne ne me l’a dit. Je le devine d’après la réaction de Compaoré. Et pourquoi Compaoré a demandé : « où est la délégation libyenne ? » Je lui ai montré. Il est parti la rencontrer, 5 jours après, il y a eu la mort. Ou bien Compaoré est parti informer ces délégués libyens de ses intentions ou bien ces délégués avaient quelque chose. Ils ont travaillé ensemble. Ce n’est pas pour rien. Je ne suis pas certain, mais je devine qu’il y a quelque chose, ce sont des soupçons bien sûr.

Interview à lire sur RFI.fr

 

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