Le bilan tactique du Mondial

Le rideau est tombé sur la vingtième Coupe du monde de l'histoire, et l'heure est désormais aux bilans. Sur le plan tactique, il n'y a pas eu de révolution, mais plusieurs tendances sont tout de même à souligner.

LA MEILLEURE ÉQUIPE A GAGNÉ

Aucune sélection n’a été aussi complète que l’Allemagne. Aucune, également, n’a présenté de plan de jeu aussi élaboré et équilibré, offensivement comme défensivement. Sur sa lancée de dernières compétitions internationales probantes (cinq apparitions consécutives dans le dernier carré d’un Euro ou d’une Coupe du monde), mais avec une inclinaison plus pragmatique, la Nationalmannschaft a logiquement décroché une quatrième étoile.

Hormis le choix initial d’aligner quatre défenseurs centraux (dont deux dans les couloirs), l’Allemagne a affiché une grande cohérence. Avec une ligne défensive haute, Manuel Neuer a efficacement joué les libéros. Pour accroître l’impact du pressing avancé de son équipe, Joachim Löw a inséré simultanément dans son onze de départ Miroslav Klose et Sami Khedira, deux gros travailleurs. Et afin defluidifier une circulation parfois laborieuse en fin de phase de poules, Philipp Lahm a été replacé côté droit en cours de huitième de finale, contre l’Algérie. Son apport offensif a également mieux réparti les attaques allemandes, parfois trop axiales. Le coaching en cours de match de Joachim Löw, enfin, a systématiquement apporté des solutions plutôt que créé des problèmes, et ce n’est pas un hasard si deux remplaçants (Schürrle et Götze) sont à créditer du but du sacre. Cette Allemagne 2014 fait un beau champion.

LA TENDANCE RÉACTIVE SE CONFIRME

L’Espagne en était le meilleur promoteur, et l’élimination précoce du tenant du titrea contribué à confirmer la remise en cause du jeu de possession, amorcée par la saison de clubs. Parmi les seize qualifiés pour la phase à élimination directe, dix sélections terminent avec une moyenne de possession « négative », inférieure à 50 %. Celles qui, à l’inverse, ont dominé la majorité de leurs matches, ont généralement été plus dangereuses en attaques rapides. C’est le cas du vainqueur allemand (59,4 % de possession moyenne), par exemple.

Le cycle du « tiki-taka » hégémonique s’achève, neutralisé par des parades récurrentes : un bloc défensif compact, dense dans l’axe pour conduirel’adversaire vers les couloirs, quitte à tolérer les centres grâce à une supériorité aérienne.

Impossible, toutefois, d’aller jusqu’à clamer l’ouverture de l’ère de la contre-attaque généralisée. Hormis la Roja, chaque équipe a, à tour de rôle, été dans la posture du dominant puis du dominé, plus ou moins volontairement en fonction de son adversaire. Le contexte international court-termiste a d’ailleurs favorisé les approches réactives, la mise sur pied d’une organisation défensive efficace nécessitant moins de temps.

L’année 2014, en compétitions européennes ou internationales, aura donc récompensé la transition offensive éclair, la « verticalisation » du jeu. Il faudra d’autres éléments probants, dans l’avenir, pour établir clairement la tendance. Le « tiki-taka » devra en tout cas se réinventer pour survivre.

ADAPTATIONS MICRO-TACTIQUES

Alors que les dernières compétitions internationales avaient débouché sur l’avènement du 4-2-3-1 comme système dominant, cette Coupe du monde a en revanche été celle d’une grande variété tactique. Sans pour autant proposer de révolution ni d’innovations systémiques. Le champ d’action des sélectionneurs, une fois leurs principales orientations établies, a principalement été « micro-tactique ». Louis van Gaal a été le spécialiste de cette gestion, ajustant la position de ses latéraux, de ses milieux et de ses attaquants en fonction de l’adversaire : plus aventureux (3-4-3) contre le Costa Rica, très conservateur (5-3-2) contre l’Argentine.

Sur le plan du profil des joueurs, pas de nouveautés non plus, mais des confirmations : les ailiers de débordements ont pratiquement disparu ; les milieux de terrain sont de plus en plus multidimensionnels, à la fois actifs défensivement et habiles techniquement (très peu d’équipes ont aligné des joueurs uniquement « destructeurs ») ; les gardiens sont amenés à participer de plus en plus au jeu, à l’image d’un Cillessen intelligent dans ses relances au sol et d’un Neuer qui a parfois poussé loin le concept de portier libéro. Enfin, certains noteront une certaine ironie à voir Mario Götze marquer le but du titre dans un rôle de « faux numéro 9 » popularisé par Lionel Messi au FC Barcelone et aujourd’hui décrié.

DES DÉFENSES À TROIS PAR CONVICTION

Dans les manuels tactiques, une défense à trois centraux doit s’employer face à une équipe avec deux attaquants axiaux. Elle assure la couverture permanente d’un défenseur libre de tout marquage, derrière ses deux stoppeurs. C’est ainsi que la Grèce, lors de son sacre européen en 2004, était efficacement passée d’une défense à quatre ou à cinq en fonction de la disposition de ses adversaires, pour toujours conserver une supériorité numérique défensive.

Mais durant cette Coupe du monde, les défenses à trois centraux ont été le fruit de choix philosophiques et non d’adaptations circonstancielles. Le Chili de Jorge Sampaoli y a vu un moyen d’occupation efficace de la largeur en phase offensive, en écartant deux défenseurs axiaux ; les Pays-Bas de Louis van Gaal, comme le Costa Rica de Jorge Luis Pinto, un impératif pour compenser par le nombre la faiblesse individuelle des éléments de leur arrière-garde ; le Mexique un outil pourexploiter au mieux les qualités techniques et l’intelligence du placement de Rafael Marquez en libéro. Ce schéma comporte une multitude de variantes. Celles observées lors de ce Mondial ont toutes plutôt bien marché.

L’IMPORTANCE DE L’INDIVIDU… ET SES LIMITES

Il aura marqué le Mondial brésilien du premier soir jusqu’au dernier, du but de Neymar contre la Croatie à la tristesse de Messi ce 13 juillet 2014 : l’individu. Dans un sport rendu si collectif par le nombre de participants (à la différence du basketoù un joueur peut métamorphoser une équipe), il aura pourtant offert quelques-unes des grandes histoires de la vingtième Coupe du monde.

Les Pays-Bas avec Arjen Robben, l’Argentine avec « Leo » et le Brésil avec (puis sans) Neymar, au destin brisé par une blessure en quarts de finale : trois des quatre demi-finalistes auront axé leur jeu offensif sur la magie d’un joueur, compensant les failles du groupe – causées ici par l’absence de vision d’un sélectionneur, là par le manque de temps pour mettre en place des schémas offensifs sophistiqués. Ces figures ont magnétisé les attentions et le ballon, sans que l’on sache si cette focalisation a résulté ou au contraire suscité l’absence d’alternatives.

En définitive, chacun de ces solistes aura eu son moment d’absence, empêchant la concrétisation du rêve. C’est le risque lorsque l’intégralité des responsabilités offensives est concentrée sur un seul élément. Dans ce contexte, et compte tenu du profil hyper-collectif du vainqueur final, cette Coupe du monde aura déjoué les sempiternels exercices de prédiction du Ballon d’or de l’année.

Lemonde.fr

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