Lions indomptables : le crépuscule des idoles

On peut espérer avec raison qu’après une décennie d’horreur de la grande nuit dans la tanière des Lions, l’aurore se lève enfin. Depuis le début des années 2000, la génération de Rigobert Song et de Mboma, n’aura connu que trois années d’effervescence. Comme un malheur n’arrive jamais seul, la mort de Marc Vivien Foé viendra sonner à la fois le glas de ces années enflammées, et le tocsin d’une longue traversée du désert. Si bien qu’on aurait pu penser que Marco se serait envolé en jetant un sors mauvais sur les Lions de sa génération. Un sortilège qui a été baptisé par nous de « marco-malédiction ». une sorte de malédiction indomptable, pour le simple fait que malgré les exorcismes des prêtres, les incantations des sorciers, des remaniements de toutes « formes », des jets de pierre des fanatiques, des engagements intermittents des joueurs, des promesses non tenues des dirigeants…rien de tout cela n’aura eu assez de force pour s’en débarrasser.

Or en ces trois années de gloire, des jeux olympiques de 2000, jusqu’à la médaille d’argent à la Coupe des confédérations en 2003, les Lions Indomptables depuis 1990 n’avaient jamais aussi bien porté leur nom. On se souvient encore qu’à cette époque, le temps s’arrêtait à chaque fois qu’ils entraient dans un stade pour « jouer au football », que ce soit au Stade Ahmadou Ahidjo ou hors du triangle national. A cette période, ces Lions faisaient rêver tout le monde. Même les parents les plus carriéristes, encourageaient déjà leurs enfants à jouer au football. En les inscrivant dans les écoles où sont passées certaines gloires, les accompagnants au stade d’entrainement, ne loupaient aucun de leurs matchs et parfois faisaient glisser des enveloppes pour que l’enfant soit aligné à tous prix. Les jeunes qui étaient déjà au lycée, exigeaient que leurs tenues de sport soient assorties aux couleurs des Lions. De couleur rouge pour ceux du premier cycle, et couleur verte pour le second. On se souvient que les jeunes se donnaient eux-mêmes, ou alors recevaient des autres, des noms des joueurs des Lions Indomptables de cette époque. Selon leur poste, leur morphologie, ou leur manière de réagir au stade.

Mais depuis l’aube de la mort de Marco, la nuit a immédiatement secondé au jour et n’a plus jamais voulu lui passer le témoin. Des esprits éclairés comme Mboma ont vu venir ce moment de nébulosité, et ont voulu, pour rester intact dans le cœur des camerounais, quitter leur équipe nationale. D’autres n’ont pas vu cela avec la même clairvoyance, et pour une raison ou pour une autre, ont voulu continuer l’aventure nocturne. Les échecs de 2004 à la CAN, la non-participation à la Coupe de Monde de 2006, la coupe manquée de 2008, la débâcle de 2010 du vivant de Nelson Mandela, pour ne citer que ceux-ci….n’ont pas suffi pour comprendre que quelque chose n’allait pas quelque part. Plusieurs sont partis d’eux-mêmes, ou bien par la force des choses. Mais plusieurs sont aussi restés jusqu’à ce que la honte puisse avoir raison d’eux au Brésil durant cet été 2014. Et il aura fallu un tour de magie, pour qu’on comprenne que c’était le moment du crépuscule des idoles de toute une génération. Et que, le légendaire Samuel Eto’o en était la dernière figure, le dernier des survivants, qui malgré lui, portait toute la malédiction des morts et disparus.

Si Samuel Eto’o n’a pas voulu quitter très tôt la tanière, c’est parce qu’il avait pensé, à tort ou à raison, qu’il n’avait pas été au cœur même de la période de gloire du début des années 2000. Une gloire qui revenait le plus souvent à Rigobert Song, à Mboma, à Foé, Etamé, Djitap, Salomon Olembé, ou encore Pierre Womé. Mais quand tous ceux-ci n’étaient plus là, Samuel a compris qu’à lui revenait tout le destin des Lions. Il aura passé 10 bonnes années de sa carrière à vouloir tant bien que mal, incarner cet emblème. On ne l’a pas compris dès le départ, voilà pourquoi il est quitté sans l’avoir accompli en entier. En entier pourquoi, parce qu’il l’a accompli sur le plan individuel, en s’inscrivant dans l’histoire comme le meilleur buteur de l’histoire de la CAN, de l’Africain avec le plus de ballons d’or, du meilleur buteur de l’histoire des Lions. Ce challenge, avant lui, personne n’a réussi à le faire. Mais alors sur le plan collectif, le plan de Samuel n’a pas pu se réaliser, parce que sur lui pesait cette malédiction indomptable et « inexplicable ». Ce déclin des Lions est née avec le désespoir au sein de la « génération Eto’o ». Celle qui avait pensé que le football donnait la gloire et qu’il fallait la désirer comme job. Depuis lors, ces jeunes ne croyaient plus en eux-mêmes, ni à ceux qui étaient pour eux des étendards de la réussite footballistique. Plusieurs comprendront que pour espérer un futur glorieux comme Eto’o il faudrait désormais construire un passé solide comme Joseph Antoine Bell. Parce qu’après le football, la vie elle-même continue.

Après le coup de théâtre historique des Lions en 1990, il aura fallu attendre aussi 10 bonnes années pour voir encore les Lions briller. Et si les Lions ont pu réaliser cet exploit, c’est parce que, dans leurs rangs, il n’avait plus existé un seul de ceux qui avaient eu à participer en 1990. C’était une équipe neuve, vidé de son orgueil de la gloire passée, aussi bien que lavé de ses impuretés. Après 2004, il aura aussi fallu attendre 10 bonnes années, une décennie pour être un peu atténué,  pour que les Lions réchauffent encore le cœur meurtri des camerounais. Tout le monde observe les jeunes évoluer et déployer leur talent. Des jeunes qui n’ont encore rien gagné, qui ont encore tout à prouver, conscients d’avoir une place à occuper dans le cœur des camerounais. Une place que les prouesses de Roger Milla, de Joseph Antoine Bell, de Biyick, de Mboma, occupent encore avec insistance. C’est une équipe « sans 9 » mais avec plein de « sang neuf », pleine d’énergie et de passion, caractéristiques de tout jeune talent.

Assourdissement, nous applaudissons à chacune de de leurs victoires. Mais nous devons aussi cultiver la patience, qui n’est pas la chose la plus partagée, pas seulement des camerounais, mais de tout fanatique. Nous devons patienter parce que toute victoire est une culture, c’est-à-dire fille d’un travail méthodique et intensif. Nous devons patienter parce que la relève n’a pas été totalement préparée, elle s’est faite comme d’habitude sur l’urgence. Or les lions de 2000, étaient en majorité en active attente pendant au moins 4 ans. A l’instar de Song, Eto’o, Mboma, Job, Foé, Etamé…Nous devons patienter pour qu’en jeune de cette époque se fasse appeler Moting, Aboubakar, ou Mbia…il faudra patienter pour voir les posters de ceux-ci  dans les chambres de ceux-là.

Mais la patience est une vertu. Voilà la décennie de la grande nuit de 2004 achevée, comme celle qui a débuté en 1990 pour se terminer en 2000. Dix ans de traversée du désert, sans nuée ardente pour nous conduire vers la montagne sainte, sans manne, et même sans guide éclairé. Plusieurs qui auront travaillé pendant cette décennie pour que cette gloire arrive, comme Samuel Eto’o verront la Terre Promise, mais ne la fouleront pas des pieds. Cette nouvelle équipe des Lions, ne peut’ elle pas aussi inspirer notre monde politique ? Au Cameroun, le vulgum pecus a toujours pensé que l’Equipe Nationale de football n’est que le reflet de l’image diabolique des dirigeants du pays. Que c’est parce que notre gouvernement échoue tant, que les Lions eux-mêmes ne peuvent faire autrement. Il faut donc se poser la question de savoir ce que les dirigeants gagnaient de 2000-2003, et qui faisait en sorte que les Lions fassent autant florès. Mais nos dirigeants peuvent aussi s’inspirer de cette « nouvelle nouveauté » qui a fait éclosion dans les Lions, pour comprendre aussi que le crépuscule doit arriver pour eux, et qu’il faudra, pour le bien de tout un peuple, passer le brassard.

Félix T. MBETBO

Chroniqueur,

monsieur2035@yahoo.fr

 

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