Les opposants comptent sur la dépouille d’Ahidjo pour dépouiller Biya…

Ce 30 novembre 2014, chacun va fêter en sa manière le quart de siècle, marquant la disparition du président fondateur Ahmadou Ahidjo. Il meurt ce même jour en 1989 à Dakar, capitale du Sénégal, dirigé par le masque blanc à la peau noire. Le 19 juillet 1983, quelques mois seulement avant son trépas, Ahidjo ne pouvait pas savoir qu’il était en train de quitter le Cameroun pour ne plus jamais y mettre les pieds. Et qu’il n’aura même pas droit aux traditionnels deux mètres carrés où reposer éternellement sa tête. Avant son départ, qu’il avait initialement prévu pour trois mois seulement, il va souffrir d’apprendre qu’il va se déplacer désormais comme un « citoyen comme les autres ». Comme à l’accoutumée, il ne sera pas mis à sa pleine disposition, le dispositif aux allures présidentielles dont il jouissait en plein temps depuis sa démission. Ahidjo démissionne de son prestigieux poste de Président de la république. Mais son coccyx est toujours coincé entre deux chaises. Comme on dit chez nous, il a un pied dedans et un autre pied dehors. Donc en réalité il n’est pas partie, il reste encore le président de l’unique parti qui existe. Et selon les textes dont il détenait seul le secret du maniement, il est clair que c’est le chef du parti qui définit la politique de la nation. Et de ce fait, chose étonnante, le Président de la république lui est soumis. Pour preuve, le Président Fondateur reste celui qui a la préséance sur son « digne successeur ». Ce dernier le consulte pour tout, même pour les raisons les plus insoupçonnées. Il était entre les mains d’Ahidjo comme une véritable « créature » entre les mains du « créateur » prédéterminée à agir selon les plans définis par ce dernier.

Par la suite, on va assister à un ahurissant coup de théâtre. Le metteur en scène, ou alors le créateur de la pièce, va confirmer une suite d’épisodes qu’il n’avait pas prévu dans le scénario. Et comme le vieillard voyait le soleil se coucher, le metteur en scène se verra en train de mourir dans son propre film. Et donnera ainsi raison à Camus qui disait que : dans certains cercles, ce sont les marionnettes qui tirent les ficelles. Ça Ahidjo ne l’avait pas compris, il était et restait certes le lion, l’homme fort, mais il lui a manqué d’être le renard, l’homme sage et prudent. Il en faisait un peu trop, si bien que, parait’ il, Biya va jurer de ne plus jamais le consulter pour quoi que ce soit. Ahidjo va exiger que la villa du lac qu’il occupait illégalement, soit somptueusement remise à neuf, selon ses caprices. Plus tard, il va loger dans l’une des luxueuses suites présidentielles du mont Fébé à Yaoundé. Nourri, gardé, entretenu par les frais du contribuable camerounais. On y voit aussi un regret enfantin, celui de n’avoir jamais eu à séjourner dans le somptueux palais d’Etoudi. Comme le rapporte Mattei, il y avait investi 200 milliards de nos maigres francs. Et nous ne connaissons pas Ahidjo si généreux, si bien qu’il l’aurait construit pour l’offrir gracieusement à quelqu’un d’autre. Ce type de charité qui ne commence pas par soi-même est toujours à redouter.  Il continue tout de même à jouir du trop qui lui reste et qu’il arrache comme un chien enragé et salivant. Il ne se gêne pas à utiliser les hélicoptères et les avions présidentiels pour ses interminables voyages, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur.

Quand Ahidjo se rend compte que son charisme est en train de baisser, et que son charme n’accroche plus, il va sombrer dans une paranoïa qui friserait la folie profonde. C’est à ce moment même qu’il va commencer à réaliser qu’il a été roulé dans la pâte. Et va se mettre au four et au moulin pour récupérer ce qu’il pensait être son bien propre. Son fameux cancer à la gorge ne l’a pas toujours pas tué, ni même conduit pour une seule nuit sur le lit d’hôpital. Son « digne successeur » ne le consulte plus, ne lui obéi plus, ne le gère plus du tout. Selon Mattei, Ahidjo, dans « sa » villa du lac, va tenir une réunion aux allures indélicates. Il aurait exigé à tous les membres du gouvernement de démissionner. Il va user de toutes sortes de subterfuges pour déstabiliser le régime Biya. Mais à l’automne 83, il va réaliser que toutes les voies ouvertes sont fermées, et qu’il faut passer par des moyens plus discrets pour y arriver. Il est lâché par le Comité Central de son propre parti, et dépose sa lettre de démission à la présidence de l’UNC. Deux ans plus tard, ce parti est éteint, désormais le président Biya allume la flamme de son flamboyant parti. C’est depuis la côte ouest africaine, en février 1984, qu’Ahidjo apprend qu’il est poursuivi et condamné pour conspiration et complicité d’assassinat. Mais le président fondateur va payer son tribut à la nature, sans jamais eu à gouter à la froideur et la sécheresse du cachot.

Mais même mort, Ahidjo, comme beaucoup de présidents africains, aurait voulu rester président. Voilà pourquoi même outre-tombe, le spectre d’Ahidjo va continuer d’habiter l’esprit et les locaux de Biya. D’une manière ou d’une autre, il verra son fantôme entrer et sortir, aller et venir, s’asseoir et se coucher, s’attabler et se doucher. Il va croiser Ahidjo en chair et en os dans ses couloirs, en esprit dans ses cauchemars. Selon l’imaginaire camerounais, le président Biya aurait invité le pape à Etoudi pour épurer cette doublure d’Ahidjo qui commençait à devenir ennuyante. Il était question de l’envoyer bruler une fois pour toute dans le feu géant de la géhenne. Contrairement aux autres successeurs africains, Biya n’a pas voulu en découdre avec les vestiges de son « illustre prédécesseur ». Il ne va arrêter aucun membre de sa famille, il ne va pas envoyer des loubards violer sa femme, ni confisquer ses archives. Il ne va pas effacer leurs noms dans les avenues de la capitale et du pays, le stade omnisport va garder son nom de baptême, quelques de ses ministres seront encore d’actualité, sa garde présidentielle gardait encore peu à peu des colorations nordiste. En 1990 Biya va même procéder à la réhabilitation législative d’Ahidjo.

25 ans plus tard, certains activistes, opposants pour la plupart dans le paysage politique camerounais, pensent que ça ne suffit pas. Ou alors que ça suffit, il est temps de rapatrier le corps d’Ahidjo au Cameroun. Si ces revendications sont à louer, il faut aussi dire que les hommes politiques ne jouent pas franc jeu. Ils agissent comme si le rapatriement du corps d’Ahidjo avait un enjeu symbolique de grande envergure. Pourtant ils ne sont que dans des minables calculs mystico-politiques. Ils pensent comme tout camerounais, que les restes d’Ahidjo, possèdent une force occulte qui pourrait nuire à la présence de Biya au pouvoir. N’ayant pas pu s’unir et agir rationnellement pour l’alterner, ils font désormais recours aux forces étrangères à la nature et à l’intelligence humaine. Qu’est-ce que le corps, ou alors les restes d’Ahidjo vont apporter de symbolique et de significatif à notre jeunesse ou à notre proche avenir politique ? Aucun de ces activistes ne peut répondre clairement à cette question.

Ils sont plutôt en train de biaiser les voies qui se présentent à eux. Ils prennent le moyen pour la fin et la fin pour le moyen. L’enjeu véritable c’est d’abord de mettre sur pieds des outils qui permettront de préparer nos terres à la réception d’une telle sépulture. Il s’agit aussi de rendre à toutes les autres sépultures politiques présentes au Cameroun leur juste valeur. C’est d’engager des actions citoyennes de réhabilitation des tombes qui existent déjà sur la lourde terre de nos ancêtres.  Il y’a aussi le cas de Moumié, qui est mort et enterré en terre étrangère. On se demande pourquoi on se fige le plus sur celui d’Ahidjo que pour l’ancien président de l’UPC. Donc il est nécessaire que les activistes rapatrient d’abord dans nos mémoires, nos cœurs et nos esprits, les dépouilles de ceux qui sont déjà partis et que les hommes n’ont pas voulu retenir. Car que ce soit le corps d’Ahidjo, de Moumié ou quelque autre, il faut savoir que ce sont les dépouilles qui ont déjà été dépouillées de toute leur signification symbolique. Il faut leur donner une place dans nos vies quotidiennes avant de leur préparer une place dans nos cimetières. Ces champs funestes, remplies des hommes et femmes qui sont morts pour rien. Et qui de ce fait, demeurent des « morts inutiles ». Une sépulture, un monument, sont de l’ordre du symbolique. Et le symbolique représente tout ce qui n’a pas de valeur en soi. Et pour le charger de cette valeur, la seule action de creuser une tombe ou de monter une statue ne suffit pas. Tant que l’esprit ne communique pas avec la valeur que le symbole est censé représenter, nous devons savoir que nous venons de puiser l’eau avec un panier. La tâche qui nous incombe aujourd’hui, est celle de comprendre que nous sommes ensevelis depuis longtemps dans d’énormes caveaux. Et qu’il faudrait d’abord commencer par sortir de la grande tombe, de revenir à la vie, de vivre, et de donner un sens à notre existence.

Félix T. MBETBO

Chroniqueur

monsieur2035@yahoo.fr

 

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