Faut-il insister sur le maillot à pois rouge conquis hier par l’Érythréen, sous prétexte qu’il est le premier coureur noir africain à le porter dans l’Histoire du Tour ? Non, bien sûr. Mais quand même un peu. Mais pas du tout, en fait. Ou alors si ?
Anecdotique ou historique ? Voilà la question que tout journaliste doit pouvoir trancher. Sinon, nous lirions dans les gazettes autant de lignes sur la 182e place au classement général du Belge Johan Van Summeren que sur la clavicule cassée du maillot jaune Tony Martin, non partant après être tombé hier au Havre dans l’emballage final remporté par son coéquipier Zdenek Stybar. Avouez que ça pourrait vite devenir pénible, sans vouloir offenser le coureur d’AG2R. Mais parfois, l’anecdotique et l’historique se rejoignent. Et cela peut alors devenir problématique.
Prenons l’étape d’hier, qui a emmené le peloton d’Abbeville au Havre, en passant par l’époustouflante côte d’Albâtre. Hormis un final marqué par une nouvelle chute collective, la course n’a pas connu de vrai temps fort. Trois cyclistes se sont rapidement échappés. Ils ont été rattrapés à quelques kilomètres de l’arrivée. Entretemps, l’un d’entre eux a franchi en tête les trois côtes de quatrième catégorie du parcours et ainsi subtilisé à l’Espagnol Joaquim Rodriguez le maillot à pois de meilleur grimpeur. Un détail, alors que le classement de la montagne vient à peine de débuter, et que les Pyrénées et les Alpes sont encore de lointaines perspectives. Ainsi résumé, l’épisode apparaît insignifiant.
Oui, mais non. Car l’Erythréen Daniel Teklehaimanot, 26 ans, est entré dans l’Histoire du vélo. Après avoir été le premier coureur noir africain à s’élancer sur le Tour, après avoir été le premier coureur noir africain à chuter sur le Tour, après avoir été le premier coureur noir africain à prendre une échappée sur le Tour, il est devenu le premier coureur noir africain à grimper le premier au sommet d’une côte de quatrième catégorie sur le Tour. Et donc, au Havre, le premier coureur noir africain à revêtir le maillot à pois sur le Tour.
• Le classement général à l’issue de la sixième étape
« C’est un beau symbole de la mondialisation », a estimé Perrig Quemeneur, son compagnon d’échappée hier, en précisant, au cas où : « Non, je ne lui ai pas laissé le maillot à pois. De toute façon, il était plus rapide au sprint. » « C’est beau pour moi, pour l’équipe, a réagi l’intéressé, tout sourire. Je pense que toute l’Afrique est derrière moi. »
Quoi qu’il fasse, une étiquette semble collée au dossard de Daniel Teklehaimanot jusqu’à la fin juillet : celle de « premier coureur noir africain » de la Grande Boucle. Même s’il jette l’éponge avant les Champs-Elysées, ce qu’on ne lui souhaite pas, il deviendrait alors le premier coureur noir africain à abandonner sur le Tour. A moins que son coéquipier et compatriote de MTN-Qhubeka – première équipe africaine sur le Tour, invitée par ASO -, le très jeune Merhawi Kudus Ghebremedhin, 21 ans tout juste, ne lui grille la politesse. Mais on ne le lui souhaite pas non plus.
Historique et anecdotique donc, ce maillot à pois. Anecdotique, comparé à l’histoire du Tour d’abord : il est peu peu probable que Teklehaimanot conserve sa tunique jusqu’à Paris. Relativement anecdotique aussi comparé au palmarès de l’Erythréen, qui compte déjà cette année une place de meilleur grimpeur au classement général du très relevé Critérium du Dauphiné.
Mais historique, car sa présence sur le Tour et le fait qu’il y fasse plus que de la figuration montre que le cyclisme s’ouvre peu à peu à de nouveaux continents. Deux ans après le premier maillot jaune porté par un Africain, le Sud-Africain Daryl Impey, le mouvement se poursuit. Non sans difficultés parfois : loin de la France, en Autriche, où se déroule un Tour plus confidentiel, un coureur de MTN-Qhubeka s’est plaint hier d’avoir été traité de « nègre » par un concurrent biélorusse.
Loin de ces ennuis, Daniel Teklehaimanot devrait prolonger son aventure à pois aujourd’hui, à condition qu’il négocie la seule petite côte placée dès le douzième kilomètre. Comme pour nous prouver que le Tour aime s’offrir à de nouvelles contrées, le départ de la septième étape, qui devrait faire la joie des sprinteurs, sera donné à Livarot. La commune, connue pour son fromage, est une ville-départ totalement inédite. Mais, n’en déplaise à la bourgade du Calvados, il semble bien que cette première soit à classer dans la catégorie de l’anecdote.
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